Raconter son histoire ? Elle esquisse un léger sourire avant de récupérer sa tasse sur le guéridon à côté d’elle. Les jambes croisées à son aise, elle boit un peu de thé... Il doit être consommé encore chaud, presque bouillant. Caressant la gorge de sa chaleur et laissant tout le parfum sur le palais. La saveur reste et lui donne toute sa valeur. Vous insistez ? Soit. On lui a attribué bien des noms, qui sait lesquels elle a réellement portés. Joséphine Balsamo Comtesse de Cagliostro, Evelyn Carnahan, Valérie Page, Angela Dodson, Lisey Landon, Tessa Quayle, Sue Lynne, et tant d’autres qui n’ont été qu’outils pour la nommer. Aujourd’hui c’est Lelandra Briska Sandman, juste parce qu’elle l’a choisit. L’original, le véritable, tout le monde l’ignore, ou peut-être est-ce l’un de ceux que l’on prend pour un alias. Quelle importance. On lui a également attribué un nombre incalculable d’actions, de provocations ou de pouvoirs, comme l’immortalité pendant un temps. Des rumeurs accentuant la légende. Le mystère le plus grand reste tout de même de savoir comment elle a bien pu être acceptée au Ministère. Elle qui n’est connu que pour sa soif de savoir et d’énigmes. D’argent aussi, mais sa manière de voler ressemble plus à de la persuasion qu’à une quelconque effraction au milieu de la nuit. Elle se recule légèrement, profitant du dossier d’un fauteuil sans âge. Elle est de d’humeur charitable aujourd’hui : si vous voulez une histoire, elle va vous en raconter une…

Il était une fois dans un village inconnu recouvert par le brouillard… une petite maison comme il y en avait des dizaines le long du chemin. Rien ne la distinguait des autres. Un petit mur de brique avec son portillon de bois bleu dont la peinture s’écaillait lentement, un jardin entretenu mais avec quelques herbes tenaces, et le silence… Juste le silence d’une maison donnant l’illusion d’être vide. Dans la cuisine, il y avait un homme. Posant sa bouilloire sur le feu et ouvrant un placard au dessus de lui. Il en sortit deux tasses qu’il posa sur le comptoir où une femme était nonchalamment appuyée. On pourrait parler de la coupe de ses cheveux, de la couleur de ses yeux, de la manière dont ses mains négligemment croisées donnaient une impression de sophistication. Oui… on pourrait en parler et détruire tous les mots qui auraient vraiment pu la décrire. Parce que son pouvoir, c’était son visage, animé d’une expression qui, même dans l’impassibilité, semblait un sourire. Elle l’observait, immobile et calme, tandis qu’il restait de profil comme pour éviter de plonger son regard dans le sien. Les minutes se succédèrent, chaque seconde s’égrenant comme au ralenti pour l’homme qui se crispait de plus en plus face au jugement silencieux de la femme. Le seul bruit venant troubler le silence était le sifflement de la bouilloire devenant de plus en plus aigu. L’homme la décolla d’un coup sec des flammes et versa l’eau dans chacune des deux tasses sous le regard impassible de la femme.

♠ - Ma fille va bientôt rentrer...

Il l’annonçait comme un amant à sa maîtresse. Comme si tout devait disparaître avant l’arrivée fatidique. La voix rauque de celui qui n’a pas parlé depuis plusieurs minutes et qui ne trouve pour seul réconfort face à la tension, que la déglutition. Elle le haïssait...

♠ - Alors si tu pouvais en venir au fait. Je ne veux pas qu’elle te voit.

Elle le quitta enfin des yeux, et même s’il n’avait toujours pas osé la regarder, il le sentit et se détendit légèrement. Elle attrapa la tasse devant elle et en remua doucement le contenu, faisant infuser les arômes. Il ne s’agissait pas de rater le thé tout de même. Elle but une gorgée et poussa un imperceptible soupir de contentement, ignorant complètement les paroles de l’homme. Cette tension dans l’air qu’elle instaurait commençait à le rendre fou, il était sur le point de reprendre la parole lorsqu’elle le devança d’une voix douce et tranquille. Comme une berceuse.

♠ - C’est une très belle maison...

Elle observait le paysage par la fenêtre, nimbé de brume et de mystère. Le silence revint, encore plus pesant. Au bout d’un moment, croyant qu’elle en avait terminé, il voulu reprendre, mais elle le devança encore.

♠ - Tu as vraiment cru que tu pourrais t’échapper comme ça…

De question la phrase n’avait que la forme. La femme n’avait pas bougée, toujours négligemment installée et savourant son thé. L’homme en revanche semblait avoir perdu la moindre faculté d’élocution. Figé face à un danger qu’il venait simplement de réaliser. Une horreur qu’il avait repoussé de ses prières sans connaître le moindre cantique. Il lança un sort dans la panique, qui n’atteint que sa propre tasse qui vola en éclat. Il avait été chassé et il était mort : Le sort de l’autre baguette avait touché sa cible. Elle reposa doucement le bout de bois enchanté sur ses genoux et reporta son attention sur la fenêtre. Une tempête s’annonçait.

♠ - Tu m’en veux ?

Cette fois, il s’agissait véritablement d’une question. La femme termina son thé et remit la tasse à l’endroit exact où elle avait été posée quelques minutes plutôt. Se releva, rangea sa baguette et se dirigea vers la porte. Une fois à l’entrée, dos à tout ce qui c’était produit, elle acheva son monologue.

♠ - Si tu me retrouves un jour et que ton cœur demande vengeance, je t’attendrai...

Elle noua son écharpe autour de son cou et ramena ses cheveux en arrière.

♠ - Et je n’aurais aucune pitié.

Elle disparut sur ces mots pour ne jamais revenir, laissant derrière elle la petite fille terrifiée, témoin de beaucoup trop de choses pour pleinement les comprendre.

Voila l’histoire qu’elle voudra bien vous raconter. Ce qu’elle ajoutera par la suite vous troublant plus que vous éclairant sera que… jamais elle n’aura précisé si elle était la femme… ou l’enfant…